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Gagner et garder la confiance

En bref

On souhaitait vous partager des choses qu’on apprend au contact des acteurs de l’insertion et de toutes les personnes associées à la Plateforme de l'inclusion. Cette semaine : quelques prises de conscience autour des façons de gagner et garder la confiance des personnes en insertion. Un aperçu en trois points : 1. Le travail social s'effectue sur un fond de méfiance envers l'administration 2. Les professionnels de l'insertion sont prêts à un zèle énorme pour rétablir la confiance 3. Les outils numériques – mal mobilisés – sont un frein à la relation

L’accompagnatrice ne note rien dans son ordinateur.

Pourtant, elle a tous les outils installés – dont certains qu’on édite nous-mêmes, à la Plateforme de l’inclusion, et qu’en tant que coordinateur du design fraichement arrivé, je venais observer en contexte. Au lieu de ça, elle maintient le regard, écoute avec une attention complète, et manifestement se souvient de tous les échanges qui ont précédé. C’est mon premier apprentissage de terrain : avant les outils numériques, avant l’identification des freins, avant même le diagnostic, le premier souci des conseillers, c’est d’établir la confiance.

Quelques observations­­ supplémentaires

« Notre travail, c’est les liens de confiance. Ça se gagne et ça se perd. »

— Une accompagnatrice socio-professionnelle de chantiers d’insertion en Île-de-France.

Pas de diagnostic correct si la personne accompagnée ne se sent pas en situation de se confier, pas d’accompagnement de qualité si elle ne pense pas que les conseils reçus vont l’aider.

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« Quand je les vois, je joue un rôle ! Je leur dis ce qu’ils veulent entendre parce que sinon c’est chaud – il y a un risque que l’on te coupe tout ! Moi je n’ai pas confiance ! Je ne leur parle pas. »

— Un bénéficiaire dans le Rhône.

Parce que de leur côté, les bénéficiaires évaluent constamment les risques qu’ils encourent à trop partager. Il y a des choses à ne pas dire, de peur d’être mal reçu, d’être envoyé ailleurs, de perdre un droit, d’être mis dans une case. Les bénéficiaires engagés dans des démarches longues (comme l’obtention d’un logement social) s’échangent régulièrement des trucs – des antisèches, pour ainsi dire – sur les arguments les plus à même de débloquer un dossier. Le travail social s’effectue sur un fond de méfiance envers l’administration.

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« Je suis pas censée faire ça, mais si je ne le fais pas, ils vont perdre un mois dans leurs démarches. »

— Une médiatrice dans le Rhône.

Les acteurs de l’insertion qui se considèrent responsables de ce lien de confiance sont prêts à un zèle énorme. On nous a parlé d’accompagnateurs qui se déplacent pour assister aux spectacles de bénéficiaires engagés dans une démarche d’insertion par la culture. De travailleurs sociaux qui fixent des rendez-vous à domicile en dehors des heures de bureau. Et partout de professionnels qui répètent « c’est pas mon travail mais je le fais quand même » – notamment quand il s’agit d’accompagner les bénéficiaires dans la complexité administrative.

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« On a accès à l’intimité administrative et financière des gens. Il y a une ligne fine de ce qu’on peut partager et de ce qu’on ne peut pas partager. »

— Une accompagnatrice socio-professionnelle en Île-de-France.

Alors qu’on a tendance à prendre le numérique pour une solution, sur le terrain, il s’avère souvent être un frein. La relation prime sur le partage d’informations : beaucoup d’accompagnateurs conduisent leurs rendez-vous sans prendre de notes, ou ne travaillent qu'avec un cahier. Pour maintenir le regard d’une part – pour établir un contact humain, chaleureux et sans intermédiaire. Et d’autre part pour garantir la confidentialité, qui est une crainte permanente pour les personnes accompagnées. Ce souci du secret est partagé par beaucoup de professionnels, convaincus que diffuser des confidences sur l’histoire et la situation d’une personne accompagnée (exception faite bien sûr des informations minimales nécessaires à l’orientation auprès d’un autre professionnel) serait destructeur des relations qu’ils ont peiné à tisser. 

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« Je m’attends pas à une réponse tout de suite mais je suis rassuré de savoir que ma conseillère a eu l’info. »

— Un utilisateur de l’application du Contrat d’Engagement Jeune

Mais le numérique a une valeur immense pour maintenir la relation entre les rendez-vous : les utilisateurs de l’application du CEJ apprécient énormément mentions « Vu » automatiquement apposées lorsqu’un professionnel a consulté leur message. L’usage fréquent du SMS ou de WhatsApp par certains conseillers, notamment en Mission locale, va dans le même sens.

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De ces observations, on tire quelques leçons pour améliorer nos services.

Déjà, s’appuyer sur les réseaux d’insertion invisible. Des acteurs qu’on n’attendait pas – MJC, bailleurs, gardiens, écoles primaires – s’organisent localement pour jouer un rôle primordial dans l’insertion des adultes. Certains de ses acteurs sont déjà orienteurs sur les Emplois de l’inclusion. Est-ce qu’on tire suffisamment partie de leur capacité à simplifier et apaiser les relations avec les acteurs plus institutionnels ? Est-ce qu’on les y aide assez ?

Ensuite, mobiliser le numérique pour maintenir les relations plutôt que pour s’y substituer. Par exemple, on peut rassurer un prescripteur qui a trouvé les coordonnées d’un garage solidaire sur DORA en lui signalant que la structure a bien pris connaissance de la candidature d’un usager, même si elle n’a pas encore validé. Autant de boucles de feedback qui donnent un sentiment de réactivité et de maîtrise.

Enfin, garantir la confidentialité de l’accompagnement. En commençant par ne pas imposer la numérisation des comptes rendus d’entretiens dans notre produit Carnet de bord. L’enjeu pour nous, c’est d’identifier précisément les informations qui ont besoin d’être partagées entre membres d’un groupe de suivi. La plupart du temps, les professionnels veulent juste savoir qui est la dernière personne a avoir eu un rendez-vous avec la personne accompagnée. Avec un numéro de téléphone, pour pouvoir s’appeler, pour entamer une relation en confiance.


Louis-Jean Teitelbaum coordonne les études de terrain et la conception d'interfaces numériques à la Plateforme de l'inclusion.